Exécution du Bourgmestre en Août 1944
Auteur : Omer HELLIN
C’était le samedi 19 août 1944, un peu avant 10 heures du matin. Du haut d’un ciel tout bleu, le soleil nous gratifiait déjà généreusement de chauds rayons. La journée s’annonçait très belle dans le petit village de Maubray, et pourtant…
Je venais d’avoir 10 ans. Notre pays se trouvait sous occupation allemande depuis 1940. Le débarquement allié avait certes eu lieu le 6 juin1944 en Normandie mais, ici, nous étions toujours dans l’attente de nos libérateurs, lesquels arrivèrent très peu de temps après, au début septembre.
L’habitation de mes parents où je passais mon enfance, sise à la Rue de la gare (18), à proximité mais du côté opposé au monument aux morts - habitation où je réside encore à l’heure actuelle – abritait aussi le bureau de postes, dont mon père assurait la gérance. Ce jour-là, celui-ci profitait d’un congé et participait aux travaux des champs, pour compte de la famille LEVEAU, sur une parcelle située en pleine campagne entre le moulin du Maugré et la commune de Wasmes. Le facteur qui assurait son remplacement, Amé WATTIEZ (30 ans), venait de terminer sa tournée matinale et s’accordait quelques instants de relaxation avant de prendre en charge son service de bureau. Personnellement, je me trouvais en face de ma maison sur un champ, qui venait d’avoir été moissonné, en compagnie de Daniel LUCAS, un ami de mon âge. Nous étions occupés à détruire un nid de guêpes souterrain en bordure de la route. Amé WATTIEZ, jouant son rôle d’adulte, nous avait rejoints en vue de nous prodiguer aide et conseils.
Alors que le calme régnait en maître dans notre entourage, la quiétude fut soudainement perturbée par un coup de feu. Nos regards se dirigèrent tout de go vers l’endroit d’où il provenait, ce qui nous permit de réaliser qu’à 50 mètres à peine, sur le chemin allant de l’église à la gare, juste en face de la gendarmerie, un cycliste venait d’être atteint par une arme à feu, en fait par une balle de révolver. Dix mètres plus avant, une deuxième balle le touchait, déclenchant de sa part un gémissement. Il eut encore le réflexe de ne pas poursuivre sa route en ligne droite mais plutôt de profiter de l’existence de l’allée contiguë à notre maison pour bifurquer, y entrer, et tenter ainsi d’échapper à ses poursuivants, mais ce fut sans succès car il s’écroula très rapidement. Les coups de feu avaient été tirés par deux hommes encagoulés – l’un de grande taille, l’autre de taille moyenne – vêtus de salopettes bleues et circulant également à vélo. Sur leur lancée, ils loupèrent le brusque changement d’orientation de leur cible, dépassèrent l’habitation, mais firent dare-dare demi-tour afin de venir achever leur victime au moyen de deux rafales de mitraillette, à raison de chacun une. Par parenthèse, ma mère l’échappa belle, car elle se trouvait précisément accroupie en train de récolter du cerfeuil derrière la clôture ajourée… sur laquelle on releva plusieurs impacts de balles. Les deux hommes de main repartirent en toute hâte en direction de l’église, c-à-d d’où ils étaient apparus. Tout s’était passé très vite.
Précédés d’Amé WATTIEZ, mon ami et moi nous approchèrent alors du corps gisant pour constater qu’il s’agissait de Gaston FONTAINE, bourgmestre de la commune. Arrivée rapidement sur les lieux, une personne – dont je n’ai pas eu le temps de relever l’identité – me demanda de quérir le curé de la paroisse; je pris donc mes jambes à mon cou pour me rendre à la cure; l’abbé LEBRUN, qui s’y trouvait, s’empressa lui aussi de venir administrer les derniers sacrements à la victime, à titre posthume bien entendu. Le corps criblé de balles fut ensuite placé sur une civière et transporté à la gendarmerie. Au début de l’après-midi, son père vint récupérer le vélo, qui était demeuré dans la cour chez mes parents; ses paroles touchantes me restent encore en mémoire : « Je viens reprendre le vélo, ou ce qu’il en reste, du malheureux ».
Gaston FONTAINE venait de quitter la maison communale, située face à l’église, afin de rejoindre son domicile, à la Grand route. Les deux auteurs connaissaient parfaitement son agenda, à n’en pas douter, puisqu’ils faisaient le guet, a-t-on dit, dans le sentier étroit niché entre deux immeubles, dont l’école des garçons (qui donne dans la Rue des sables). Ce sentier, qui n’existe plus, aboutissait à la Rue des caves. C’est vraisemblablement le chemin qu’ils prirent pour assurer leur fuite. Il se fait que mon père, lorsqu’il apprit la nouvelle le soir, se souvenait d’avoir vu, en fin de matinée, non loin de l’endroit où il oeuvrait, deux personnes, ayant le vélo comme moyen de déplacement, échanger des vêtements et les remettre à une troisième, qui les attendait, avant de disparaître dans la nature.
Gaston FONTAINE (34 ans; deux enfants) était bourgmestre de Maubray et catalogué de « rexiste » puisqu’installé par l’occupant. Il remplaça le premier magistrat, Jules WAROUX, qui avait pris sa charge à la suite des dernières élections communales d’avant la guerre; ce dernier s’était donc vu démis de ses fonctions pour faire place à la personne choisie par l’autorité allemande. La population maubraisienne ne semblait pas cultiver une opinion défavorable à l’égard de la gestion de Gaston FONTAINE. Dès lors, méritait-il ce jugement suprême ? Difficile à dire. Un point de vue communément répandu à l’époque estimait que, d’une manière générale, la stratégie des mandataires collaborateurs tendait à ne pas opérer de dénonciations de résistants appartenant à leur propre commune mais plutôt de poursuivre anonymement ceux d’entités voisines. Rentrait-il dans cette épure ???
Il faut en tout cas savoir qu’en 1944, la violence contre les bourgmestres rexistes augmenta fortement et qu’ils devinrent la cible privilégiée des mouvements de résistance. Des procédures de représailles, à savoir des prises et exécutions d’otages, étaient généralement menées à la suite de ce genre d’attentat. Il n’apparaît pas que ce fut le cas cette fois, mais ne perdons pas de vue que la libération était très proche et que, dès lors, les priorités des états-majors des mouvements collaborationnistes et nazis se situaient ailleurs.
Des indiscrétions, voire des révélations - crédibles, en tout ou en partie - ont alimenté les conversations des villageois dans les moments qui suivirent l’exécution de Gaston FONTAINE :
- Gaston avait été tenu au courant par des membres de sa famille, proches des milieux de la résistance ( !), qu’un danger le menaçait et qu’il avait intérêt à éviter de sortir de chez lui, ou mieux encore, à aller se réfugier en France chez des parents, un sage conseil qu’il n’a à l’évidence pas suivi; mais pourquoi partirais-je, avait-il dit, puisque je n’ai rien à me reprocher;
- Un scénario antérieur à l’exécution du 19 août - qui n’a pas donné lieu à concrétisation, pour des raisons qui nous sont bien entendu tout à fait inconnues - aurait été mis au point en vue de l’élimination du bourgmestre entre le bureau de poste et la gare alors qu’il rentrait chez lui à pied avec son épouse au retour de leur assistance à une grand-messe dominicale.
Nous avons pris connaissance, suite à la publication de l’ouvrage « Vie et mort du Val de Verne (1974) », de Pierre BACHY, édité par l’Amicale des résistants de Péruwelz et environs, d’informations inédites émanant du mouvement de résistance à la base de l’exécution de Gaston FONTAINE. Il s’agit de THE SCARLETT COMPANY (1), dont la responsable était Emilia BACHY, le commandant du bataillon étant RETH (= Arthur HENNEGHIEN, sous-chef de gare à Ath).
Le rapport d’exécution (page 160) fournit les détails suivants :
«
But de l’action : exécution du bourgmestre rexiste de Maubray : Gaston FONTAINE.
- Date : 19 août 1944.
- Participants : ALBERT et PIERROT, en détachement aux ordres de RETH.
- Ennemi : néant.
- Résultat : FONTAINE est mort.
- Matériel utilisé : 3 balles de révolver 12 mm (2) et deux rafales de mitraillette.
- Critique : FONTAINE était armé, mais il n’a pas eu le temps d’utiliser son arme qui a été fracturée par la première rafale.
(1) Il y avait plusieurs mouvements de résistance à Péruwelz : Scarlett, Bon combat, A.S., Partisans armés, MNB, F.I.
(2) Je n’ai le souvenir que de deux détonations.