La Ferme de Bouchegnies
Histoire de la Ferme
Elle se situe aux confins de Maubray et de Wasmes. On l’appelle communément « ferme de l’abbaye de Bouchegnies » parce que son histoire s’identifie avec celles des anciennes abbayes de Saint-Médard à Tournai et de Saint-Nicolas des Prés à Chercq.
En effet - d’après le chroniqueur Gueluy - l’abbé OGER, fondateur de l’abbaye de Saint-Médard reçut vers l’an 1126, de SIGER (doyen du chapitre d’Antoing), une ferme sise à Maubray et dénommée « ferme de Bouchegnies ». Vers 1132, les moines de Saint-Médard s’établirent à Chercq et y fondèrent l’abbaye de Saint-Nicolas des Prés.
La ferme de Bouchegnies était exploitée par les religieux eux-mêmes, qui y séjournaient. Grâce à de nombreuses donations, Bouchegnies augmenta ses cultures, ne cessa de prospérer et devint bientôt un domaine de très grand rapport. Témoins de cette prospérité, le curé de Maubray et le chapitre d’Antoing réclamaient la dîme des bestiaux de la ferme, tandis que le curé de Vezon prétendait avoir droit sur certaines menues dîmes de sa paroisse dont jouissait l’abbaye Saint-Nicolas des Prés. Des arbitres désignés par l’évêque de Tournai et l’évêque d’Arras déboutèrent les prétendants, étant donné que l’abbaye était en réelle possession de ces dîmes par des actes authentiques.
Mais Bouchegnies allait bientôt subir un désastre. En effet, à la veille de la bataille de Bouvines (1), livrée le 27 juillet 1214, les troupes de Philippe-Auguste, en marche vers Tournai, la dévastèrent puis l’incendièrent de fond en comble; quatre-vingts ans plus tard, les derniers travaux de réparations n’y étaient pas encore achevés ! Au début du XVe siècle, Bouchegnies était encore la principale ferme de l’abbaye Saint-Nicolas des Prés. Elle fut la dernière délaissée par les religieux et cédée en location à des fermiers. Quand les religieux habitaient la ferme, ceux-ci ne cuisaient pas leur pain; il leur était envoyé de l’abbaye.
Au fil du temps la ferme de Bouchegnies subit encore certaines dévastations causées par les guerres. Dans la première moitié du XVIe siècle, l’abbé VIVEQUIN la restaura. En 1688, l’abbé PORTOIS fit construire un nouveau corps de logis et y plaça ses armoiries (deux palmes, une crosse et une mitre). Elles y sont toujours aujourd’hui, sous la baie centrale, un peu détériorées par les intempéries, mais on y lit encore facilement la devise « UBI CHARITAS IBI DEUS » ainsi que les initiales N.P. De part et d’autre de ce cartouche de pierre sculptée rectangulaire qui s’étale sur la façade figure le millésime cimenté en graphie ancienne ANNO 1688.
Bien des événements se sont passés depuis lors. En 1794 les Français se rendirent maîtres de notre pays, et on sait ce qu’il advint des biens des établissements religieux. Bouchegnies, pour sa part, fut cédée à des particuliers. Les familles Leduc-Servant, Dereux-Leduc et Jurion s’y sont succédé. Ces dernières années, les nouveaux occupants ont aménagé les dépendances en salles de fêtes, réunions et banquets.
(1) Bataille de Bouvines : victoire remportée à Bouvines (au S-E de Lille) par le roi de France Philippe-Auguste, soutenu par les milices communales, sur l’empereur germanique Otton IV et ses alliés, Jean sans Terre et le comte de Flandre
La ferme de Bouchegnies n’a donc plus tout à fait l’aspect qu’elle avait il y a plusieurs centaines d’années, mais elle reste un témoignage d’un glorieux passé.

Description des batiments
Étude réalisée par Thérèse Faux
Venant de Wasmes, le premier chemin à droite avant d' arriver à Bouchegnies était déjà présent sur des plans du XVIIIe siècle. Il nous permet de franchir les douves et d' entrer dans une cour carrée fermée par une lourde grille accrochée à deux solides piliers de briques enclavés de pierres de taille.
Un corps de logis très élevé, d' un style beaucoup plus récent que l' ensemble évoque plus une école ou un presbytère : c' est effectivement l' habitation du XIXe.
A droite de l' entrée une grange longue d'une quarantaine de mètres, aux murs de briques foncées, offre au regard deux pierres rectangulaires taillées, portant en relief une mitre et la mention:
Ad sidera vultus Anno 1654

Remarquons alors que la toiture repose sur une frise obtenue par la disposition des briques pointes en-dehors, procédé en usage dans la région il y a moins de deux cents ans; nous pouvons donc en déduire que cette couverture de tuiles est postérieure au bâtiment.
Reprenons la route jusqu' au rond-point : à droite, par delà les douves, nous apercevons les murs antiques de la ferme.
La façade arrière, au sud
Elle est visible de la route (et maintenant de l' autoroute) et présente un aspect hétéroclite : de nombreuses fenêtres y ont été percées sans ordre. D' emblée, nous pouvons remarquer les différentes époques de construction de ce bâtiment.

A l' est se détache une sorte d' annexe élevée, aux angles cassés, autrefois percés d' occuli comme pour un choeur d' église mais un peu moins élevé que ce qui serait la nef. Ce lieu a bien servi autrefois de chapelle. Depuis quand et jusqu' a quand ?
Au milieu de la partie principale, une construction à étage, en briques foncées aussi. Si, visiblement, les ouvertures du rez-de-chaussée ont été remaniées, les fenêtres de l' étage sortent tout à fait de l' ordinaire. Rien de commun avec les habitations types de nos campagnes. Petites, certaines rebouchées, elles sont surmontées d' un important larmier de briques légèrement cintré.
A l' ouest, un bâtiment semble à première vue être une annexe. Pourtant ces briques de couleur orange, ce toit d' une hauteur impressionnante et à la pente relativement raide, tout cela nous laisse croire qu' il doit être antérieur aux parties précédentes. Et reprenant quelques instants les écrits, nous y trouvons une explication : un nouveau malheur survient aux religieux de Saint-Médard : la plus grande partie de leur ferme est incendiée en 1585. Le quartier de l' Abbé, situé du côté de Maubray, est la seule partie à être conservée. Elle correspond à celle que nous observons pour le moment. Ces faits nous apportent aussi une explication à la présence, à l' angle gauche de la partie centrale, des briques d' ancrage qui semblent encore attendre que l' on profite de la reconstruction de cette partie pour remettre l' ensemble au goût du jour. Mais cette bâtisse n' a pas fini de nous surprendre.
Le pignon ouest
Observant le pignon, nous remarquons qu' il est surmonté d' un muret de briques qui devait probablement protéger une couverture de chaume des vents violents. Quand aux fenêtres que nous devinons encore sur cette façade ouest, elles nous donnent fort à penser qu' elles ont été conçues par un architecte de la ville : impressionnantes par leur largeur, à croisée avec meneau et traverse de pierre, elles étaient surmontées d' un arc. Au rez-de-chaussée, de larges bouches de pierre ventilaient des caves sans doute destinées à la conservation
d' aliments.
Le coin côté cour garde ses énigmes :
- en hauteur, une porte aujourd' hui rebouchée, au linteau de pierre en arc en plein cintre : pour aller où ?
- des pierres saillantes, apparemment des consoles, mais pour soutenir quoi ?
- y avait-il ici un ancien portique, ultime défense de la cense, qui permettait un passage en toute sécurité entre l' habitation et les dépendances ?
La façade nord
La façade principale côté cour est fière de nous annoncer par un millésime fait de petites pierres qu' elle est là, bien plantée, depuis 1688. Et un cartouche portant l' inscription
16 Ubi caritas ibi deus 88
nous révèle indirectement le nom de celui qui a commandé les travaux puisqu' il s' agit en effet de la devise de l' abbé Portois.

Comme pour la façade arrière, le rez-de-chaussée a subi de nombreuses modifications. Toutefois les traces nous laissent imaginer l' allure majestueuse d' une ouverture à deux battants flanquée de part et d' autre de larges fenêtres probablement assorties à celles de l' étage.
Celles-ci, au nombre de trois, presque aussi hautes que larges, sont rendues aveugles sur la moitié de la hauteur par des battants de bois. La partie supérieure quant à elle est faite de croisées dont les meneaux de bois partagent la baie en huit compartiments. C' est le type de fenêtres que la Renaissance attardée dessinait à cette époque dans nos régions.
L' encadrement est tout en pierre grise. Sous chaque montant, une console à trois dents, à peine en relief sur le mur. Le linteau des fenêtres est surmonté d' un arc surbaissé, terminé de chaque côté par une volute inversée et surmonté d' un imposant larmier de pierre. Notre attention est encore frappée par la présence d' ancrages, pièces de bois assez impressionnantes.
Ce qui attise encore notre curiosité, c' est la présence des deux tours carrées ressortant du bâtiment. L' une semble être le trait d' union entre la partie de droite (partie de l' abbé), et la partie principale du corps de logis. A sa base, une porte basse et large à deux battants, dont le linteau de briques légèrement cintré repose sur des piédroits de pierre taillée, nous introduit dans un dédale de caves basses voûtées, pavées de dalles de pierre démesurées.
La deuxième tour est située dans l' angle gauche de l' habitation. Le toit court s' insère dans le bâtiment principal. Percée au rez-de-chaussée d' une porte surmontée d' un arc en plein cintre et à l' étage d' une fenêtre tracée sur le même schéma, elle n' aurait rien d' extraordinaire si une pierre taillée usée par les intempéries ne venait elle aussi nous raconter sa petite histoire :
1637. Poussant alors la porte, nous découvrons un escalier hélicoïdal, en pierre d' abord, en bois ensuite, et qui nous rappelle fortement celui du beffroi de Tournai. C' est par là que nous pouvons accéder à l' étage. Nous arrivons ainsi dans une large salle rectangulaire pavée de carreaux de terre cuite. Le mur sud est percé d' une enfilade de portes donnant accès à des chambrettes tandis que dans l' angle Est, angle de la cheminée, une porte légèrement surélevée nous mène à l' ancienne chapelle. A l' autre extrémité de cette salle, nous entrons dans les quartiers de l' abbé. Il s' agit ici d' une grande pièce plutôt carrée aussi pavée de terre cuite avec comme seul mobilier une cheminée monumentale. Dans l' angle côté cour un escalier nous permettrait de rejoindre le rez-de-chaussée si son état n' était pas aussi délabré. Il est abrité dans la première tour.
Avant de quitter les lieux, entrouvrons un des battants de cet étage et jetons un coup d' oeil sur la cour. D' ici enfin nous pouvons réellement nous faire une idée de l' ensemble que formaient ces bâtiments : au-delà du mur et des appentis qui divisent la cour, il saute aux yeux que les étables ont été conçues par un même constructeur.